Un clampin, deux clampins, trois clampins…
Mais je t’assure ! Il parait que si tu embrasse l’homme que tu aime sur le dos d’un dragon… vous deviendrez amoureux pour toute votre vie ! Répéta pour la troisième fois une jeune elfe aux cheveux blonds noués en deux couettes ridicules, sirotant dans un long verre un jus de fruit couleur rose passion. Sa camarade, une autre elfe, possédant un regard sombre et habillée d’une robe au profond décolleté ne put que pousser un petit cri hystérique à cette nouvelle oh combien intéressante, dont dépendait, à ne pas douter, la survie de notre univers.
« Tu crois que Marius pourrait monter un dragon alors ? J’aimerai m’assurer qu’il n’aille plus draguer cette vieille peau qui habite à coté de chez lui… d’ailleurs, je lui ai dis pas plus tard que hier… » Tuer les gens parce qu’ils vous paraissent inutiles, c’est mal. Voila ce que se répétait inlassablement une étrange jeune femme, assise à la table voisine de ce couple au QI d’escargot. Profitant des derniers rayons de soleil de la journée à terrasse d’un bar, une choppe d’hydromel sur la table, elle n’aurait pu se douter de la souffrance qu’elle allait endurer. Dire que cela faisait prés d’une heure que, attendant un signe qui signifierait le retour d’un peu de chance, la pauvre chasseuse devait supporter ce babillage incessant d’adolescente prèpubaire.
Soupirant de désespoir, la chasseuse passa une main bronzée dans sa longue chevelure rousse, celle ci retombant sur un regard couleur miel voilé de désespoir. Rien de plus terrible que d’avoir sur soit une épée et une arbalète sur le coté et de ne pas pouvoir tirer sur ce gibier de maigre qualité. Les lèvres tirés en une moue rageuse, la rouquine étira ses longues jambes sous sa table provoquant quelques regards intéressés de la part de certains passant.
quatre clampins, cinq clampins, six clampins
Moë avait perdu le compte exactement 13 fois depuis qu’elle s’était installée ici. 13 fois qu’elle reprenait cette intense réflexion pour faire passer le temps, attendant quelque chose qui la ferait quitter cette rue piétonne incroyablement bruyante. Mais attendre quoi exactement ? Allez savoir. Un bon tuyau qui parviendrait à ses oreilles et qui lui permettrait de récupérer son salaire serait déjà un bon début, mais vu la tournure pitoyable de sa journée, elle avait plus de chance de rentrer chez elle bredouille, une fois encore, les poches et la bourse vides. Pourquoi diable continuait elle encore de tenter sa chance dans cette foutue arène d’Echoriath ? Par quels principes masochistes éprouvait elle l’envie d’aller se faire voler cet argent acquis légalement et à la sueur de son front ? Par Kerberos qu’avait-elle fait pour s’attirer une telle malchance ? Une étrange sensation se fit sentir, et la jeune femme chercha dans la foule ce qui avait pu la déranger… Face à elle, un homme à l’allure louche, un parieur à ne pas douter, se dirigeait vers elle. Cela devait faire quelques minutes qu’il avait dut repéré la fameuse pigeonne et qu’il espérait pouvoir tenter sa chance, histoire de lui soutirer quelques pièces.
Mais Moë n’était pas d’humeur… pas tout de suite en tout cas. Elle déposa sa main gantée par des mitaines de cuir sur le manche de son épée, en braquant son regard sur lui son regard des mauvais jours, encore plus terrifiant que celui d’un dragon mal luné. Celui-ci, possédant visiblement un instinct de survie suffisant, préféra sans retourner à quelques arnaques moins dangereuses.
… Non mais tu te rends compte ? Demander ça au bout de trois semaines de couple ? Tout ça parce que monsieur veut tenter des nouvelles choses, voila que je dois me faire passer pour une fille de… enfin tu vois le genre ! Une nouvelle fois, l’elfette répondit en hochant vigoureusement la tête avant de recommander une boisson. La terrasse commençait à se vider de minute en minute. Les gens s’en allaient, repartaient retrouver leurs maisons et leur famille, faisant leur compte mentalement. Ça et là, quelques couples qui se tenaient la main… étrange endroit pourtant pour une sortie en amoureux… mais bon, la jeunesse devenait de plus en plus incompréhensible pour la chasseuse, surtout quand on en avait jamais eu. Devant elle, les derniers rayons de soleil commencèrent à disparaitre et quelques étoiles se mirent à briller faiblement dans le ciel qui se colorait d’un violet clair. L’air se fit encore plus frais et vif, les bar s’allumèrent de couleur pastelles et mouvantes… quelques lampes pour éclairer le chemin des futurs poivrots et Moë finit sa chope tranquillement, le regard perdu dans le vif. C’était étrange ce genre de changement… en quelques minutes, le temps de se perdre dans sa rêverie, le monde se modifiait du tout au tout. Il fallut un peu de temps pour que la chasseuse remarque l’absence des deux demoiselles qui lui avait tenu compagnie. Mais alors que la splendeur certaine de la nuit tombante s’installait… l’ambiance ce fit un peu plus lourde, finissant de sortir de sa reverie la jeune femme aux longs cheveux roux. Le soir, les vrais paris commençaient… les paris bien plus sérieux et les arnaques de professionnels. On pouvait tout perdre et rarement espérer de gagner, mais le plaisir en était décuplé… quand on voyait qu’envers et contre tout, la chance venait vous sourire. Mieux qu’une chasse, mieux que tout sur cette bonne vieille planète… trainer dans les quartiers d’Echoriath une fois la nuit installée c’était tout aussi excitant.
La chasseuse se paya un nouveau verre… pour le moment, il était encore trop tôt pour se faire pigonner. Et puis qui sait, peut être qu’elle allait enfin avoir un peu de chance ce soir là ? Comme tous les soirs, cette pensée traversa son esprit, et comme tout les soirs, la jeune femme réajusta sur sa brassière noir une épaisse veste de cuir qui ne la quittait que rarement.