Moi ? On me demande de parler de… Moi ? Je déteste ça. Je ne le fais jamais, même pour mes amis. Enfin. Si j’avais des amis, je ne leur parlerais pas de moi. Il faut croire que personne ne veut de moi, et puis, je suis très bien toute seule. On ne m’a jamais enseigné ce que pouvait être « l’amour », de même que « la compassion » ou encore « la charité ». Tout ce qui s’approche de la gentillesse me répugne, le seul sentiment que je peux de temps à autres est la pitié. Sinon, il n’y a rien d’autre que la haine, la colère et les moqueries. J’adore voir souffrir les autres. Cela me fait bien rire. Je suis patiente, et trèèèès rancunière. Les deux me permettent d’attendre des années pour par exemple, me venger sur quelqu’un. Mieux vaut ne pas me chercher. Je ne crie jamais, lorsque je m’énerve – c’est rare – c’est silencieusement, et encore plus violent. La petite fille que j’étais autrefois, bien trop gentille et peureuse, a bel et bien été enfouie au fond de moi. Je suis redoutable, je n’ai peur de rien. Je suis un peu trop sure de moi, et j’ai tendance à tout prendre au pied de la lettre. Je m’arrêterais là car, je vous le rappelle, je n’aime pas parler de moi.

Il y a vingt ans ; mourrait ma mère, dans des circonstances aussi étranges qu’atroces. C’est donc mon père, Loyc, qui m’a élevée. On aurait pu plaindre « le pauvre homme d’avoir une telle charge sur le dos » mais lui, il s’en sortait très bien tout seul. Aucun problème pour s’occuper de la gamine. En fait, il n’avait jamais voulu de moi, je crois bien. Je ne l’ai jamais bien su, de toutes façons, je m’en fiche. Mon père était un dégénéré, un malade mental. Dès que j’appris à marcher, il se servit de moi pour ses « expériences » abominables. J’ai du subir toutes sortes de tortures. J’ai vécu dans la crainte jusqu’à mes douze ans, âge auquel je me suis enfuie de « chez moi ». Je suis partie dans les bois, me cacher, loin du malade qui se servait de moi comme de son jouet. J’étais terrifiée. Et stupide, aussi. Je n’avais pas soupçonné que ses dons de « voyance » me feraient repérer aussi vite. Il m’a forcée à rentrer chez moi, et sa folie s’est déversée sur moi de plus belle. Il m’a d’ailleurs laissé une horrible cicatrice sur la hanche à ce moment là. Seulement, un jour, je réussis à me servir de lui, comme d’une poupée vaudou. Pendant de longues d’heures ; il s’est tordu de douleur devant moi, mais rien ne pouvait lui faire comprendre la haine que j’éprouvais. Il a souffert jusqu’à ce que j’en assez, et je l’ai tué. Nous vivions reculés de tout, alors personne ne peut me rechercher, à présent. Je suis seule, libre, et c’est tant mieux.